ESPACE EN VOIE DE DISPARITION
Il suffit de visiter les grandes expositions internationales et de considérer l’Histoire de l’Art de ces cinquante dernières années pour se rendre compte à quel point la Peinture n’y est plus aussi présente que d’aucuns auraient pu l’espérer. Serait-ce à dire que nous nous acheminons graduellement vers sa fin ?
Parallèlement à ces considérations à dominante culturelle ne sommes-nous point les derniers témoins de toute trace d’animalité sauvage et n’assistons-nous pas, quasi-impuissants, aux conséquences inéluctables que l’hégémonie humaine, avec ses égoïsmes et ses intérêts privés ou corporatistes, impose aux espèces dites en voie de disparition ?
La Peinture est-elle une espèce en voie de disparition ? C’est ce que nous clament les tableaux animaliers d’Oddbjørg Reinton. Et ce n’est pas un hasard si ses bêtes de prédilection sont l’ours des régions polaires dont s’origine son prénom et sa provenance, les grands singes des pays chauds dont on a pu voir, dans un film célèbre, l’humanité hissée au faîte de la nuit new-yorkaise, et les baleines dont certaines contrées refusent encore qu’on les protège, malgré leur nombre en diminution.
Pourtant il ne s’agit pas pour Oddbjørg Reinton d’un opportuniste ralliement à une cause écologique dans l’air du temps. La matière picturale qu’elle étale sur ses toiles est trop intimement mêlée aux figures des animaux représentés pour que le propos ne soit pas à lire dès lors au second degré. Ainsi Oddbjørg Reinton a-t-elle volontairement travaillé à l’acrylique blanche, couleur en accord avec son sujet et avec l’environnement qu’on lui connaît. Inversement les sombres gorilles, dont la science veut que nous descendions, étaient-ils associés à la noirceur du fond de mystère qui les caractérise.
Notre civilisation peut-elle se passer de peinture comme elle semble s’accommoder de la disparition des grandes espèces ? Telle est la question qui travaille cette œuvre.
Et c’est au fond le drame qui se joue sur ses tableaux. Cet aspect dramatique est accentué par l’apparition récente de la couleur rouge qui fait basculer cette peinture dans le surnaturel. C’est que la chose est trop énorme pour être encore crédible. Le rouge ici fonctionne comme un avertissement, le rappel d’une ligne interdite à ne pas franchir. C’est ce qui pourtant pend à la trompe des éléphants que peint également Oddbjørg Reinton. C’est parce que la chose est trop énorme qu’il ne faut pas l’accepter.
Inversement les gorilles tendent à émerger de plus en plus d’un fond blanc. C’est que le combat pour leur survie est le même que celui des ours et autres espèces. Et de toutes façons sur le plan du peint, toutes les conditions se confondent : la cause des singes polaires peut bien se confondre avec celles des ours africains… Ou l’inverse… Dans tous les cas de figure il s’agit de jouer sur l’impact visuel de ces tableaux dépouillés auprès du spectateur, la Peinture jouant comme une réserve protectrice, isolant de l’hostilité, de l’agressivité, du bruit et de la fureur de l’extérieur humain.
Dans ces dessins, Oddbjørg Reinton essaie d’établir un rapport plus intimiste avec les spectateurs sensibles à cette cause à effets multiples. La distribution des plans divers accueillis sur la même surface expriment les diverses facettes de sa pensée. Le recours à la compossibilité spatiale fonctionne sur le modèle du rêve qui n’hésite pas à mêler les époques et les lieux en un même espace. C’est que sans doute cette production se cristallise autour d’un rêve : celui, par son expression même, de participer au combat pour la conservation des espèces qui nous sont si proches (ne dit-on pas de certains hommes qu’ils sont des ours, des singes, ne dit-on pas gare au gorille !, ou que l’homme est un loup pour l’homme ?) mais surtout au combat pour la préservation de la Peinture comme espace de liberté, de préservation et de partage.
Espace en voie de disparition. Peintre : espèce vouée à disparaître ?
Qui sait si ce combat ne sera pas un jour celui de l’espèce humaine, elle-même en voie de disparition, dans un espace qui s’amenuise chaque jour ?
Bernard Teulon-Nouailles | ArtVues, juin 2010
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